10 ans après la crise, (re)mettre la finance aux mains des citoyens

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10 ans après la crise qui a ébranlé la planète finance puis durement frappé les économies, le Secours Catholique appelle à mettre la finance au service de l'intérêt général. Dans un rapport publié en juin, il analyse le rôle et le fonctionnement du système financier mondial, décrypte ses impacts sur la pauvreté et les inégalités et fait des propositions pour mettre la finance au service de la collectivité et de la transition écologique.
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Il y a dix ans, la planète finance était secouée par un puissant séisme, dont les répliques allaient frapper durement les économies réelles et provoquer chômage, précarité et accroissement des inégalités.

Dix après, la finance mondiale souffre toujours d'un manque de régulation et ne répond pas aux enjeux écologiques et sociaux.

Il faut donc remettre la finance au service de l'intérêt général, explique le Secours Catholique qui a publié en juin "La finance aux citoyens", un rapport sur la finance mondiale.

À travers ce document qui analyse le rôle et le fonctionnement du système financier mondial, décrypte ses impacts sur la pauvreté et les inégalités et fait des propositions pour mettre la finance au service de la collectivité et de la transition écologique, le Secours Catholique invite partenaires et citoyens à s'emparer du sujet, à participer au débat et à se mobiliser.

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CÉCILE RENOUARD : « NOS MODÈLES ÉCONOMIQUES ET FINANCIERS NOUS FONT ALLER DANS LE MUR »

 

Cécile RenouardEntretien avec Cécile Renouard, directrice du programme de recherches CODEV – entreprises et développement à l'ESSEC, professeure de philosophie au Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris, religieuse de l’Assomption.

 

Secours Catholique : Vous avez participé au comité éditorial du rapport du Secours Catholique « La finance aux citoyens », aux côtés d’autres académiques et acteurs associatifs. Pourquoi avoir accepté de vous engager dans cette démarche ?

Cécile Renouard : Cela vient tout à fait dans le prolongement des recherches que je mène depuis une quinzaine d’années maintenant sur les enjeux de responsabilité des acteurs économiques au niveau international, en particulier des multinationales.

Ces recherches m’ont conduite à codiriger avec Gaël Giraud – qui signe la postface du rapport – l’ouvrage collectif 20 propositions pour réformer le capitalisme*. Une première version est sortie en 2009, au pic de la crise, puis une version refondue en 2012, qui examinait ce qui était souhaitable en termes de régulation financière à plus court ou plus long terme.

Depuis dix ans, on n'a pas vraiment avancé. On est encore dans une situation extrêmement fragile.


C’est ce que je trouve intéressant dans la démarche du rapport du Secours Catholique : il continue à mettre l’accent sur des aspects techniques liés à la régulation financière, qui est absolument nécessaire. Car on voit bien que depuis dix ans, on n’a pas vraiment avancé.

Globalement, un certain nombre de propositions que nous faisions en 2009 puis 2012 n’ont pas été mises en pratique. Et l’on est encore dans une situation extrêmement fragile. Les spécialistes nous disent que l’on va vers un nouveau krach financier - on ne sait pas très bien quand -, dans les mois ou les années qui viennent.

Il est donc urgent de mobiliser les citoyens pour faire davantage pression sur les politiques et les acteurs économiques de manière à réguler davantage la finance à l’échelle mondiale et à celle des pays, pour contribuer à l’intérêt général – le terme utilisé dans le rapport – ou ce que j’appelle, moi, le bien commun.


S. C.Comment voyez-vous cette prise de position d’une organisation comme le Secours Catholique contre les dérives de la finance et ses impacts sur les inégalités et la pauvreté ?

C. R. : Elle est très importante, à plusieurs niveaux. D’une part, du point de vue de la parole que peut avoir une institution d’Église vis à vis des enjeux qui relèvent de principes qui sont aussi ceux de la pensée sociale de l’Église, et, en fait, d’une volonté de contribuer à un monde qui soit davantage inspiré de l’Évangile.

D’autre part, je trouve que cela correspond bien à ce que je perçois du souhait du Secours Catholique de traiter non seulement les conséquences des problèmes de nos institutions - qu’elles soient politiques, économique ou financières - mais aussi de s’attaquer à leurs racines et à ce qui cause la grande pauvreté, aujourd’hui, en France et dans le monde.

Cette prise de parole est donc très cohérente avec des positions qu’a pu prendre l’association ces dernières années, en lien avec d’autres ONG, chrétiennes ou non. Elle essaie d’aller le plus loin possible dans l’explicitation des rouages de nos modèles financiarisés actuels, pour donner à comprendre aux citoyens comment cela fonctionne et montrer qu’il y a des choses qui sont faisables aujourd’hui, si l’on en a la volonté politique.

Maux structurels

Cette parole est, du même coup, cohérente aussi avec ce que décrit le pape François dans l’encyclique Laudato Si', quand il invite la société civile à se mobiliser, soulignant qu' il y a souvent une conjonction d’intérêts à court terme entre des élites politiques soumises à la pression d’agendas et d’échéances électorales, et les banques et multinationales qui raisonnent à partir du retour sur investissement à très court terme.

Il y a là des maux structurels, qui relèvent de ce que Jean-Paul II appelait le péché structurel. Pour les analyser et essayer de promouvoir une transformation institutionnelle, il faut des pressions qui viennent de la « base », des populations qui font les frais des conséquences négatives de nos modèles financiarisés. Cette pression-là est susceptible de contribuer à une transformation des règles du jeu.

Tout ce qu’on laisse faire à court ou moyen terme peut avoir des conséquences dramatiques pour d’autres à travers la planète et pour les générations futures.


C’est donc très important que les institutions d’Église, et notamment celles qui sont engagées dans l’action sociale au quotidien, fassent le pont entre les populations vulnérables et les décideurs qui édictent des lois, en assurent la mise en pratique ou font du lobbying pour éviter des réglementations trop contraignantes.

Le Secours Catholique peut vraiment jouer ce rôle de passerelle en sensibilisant au fait que derrière les règles du jeu financières, il y a des personnes victimes de problèmes de différentes natures, et que tout ce qu’on laisse faire à court ou moyen terme peut avoir des conséquences dramatiques pour d’autres à travers la planète et pour les générations futures. Je trouve que c’est vraiment prendre au mot l’invitation à la fraternité universelle et ce lien avec les écosystèmes, avec la Création.

C’est ce qui est intéressant, également, dans ce rapport : cette articulation entre les enjeux économiques et financiers et les questions sociales et écologiques, qui renvoie au « double cri de la planète et des pauvres ». On se rend compte que nos modèles économiques et financiers nous font aller dans le mur, à ces deux égards.


S. C.Justement, vous diriez que c’est un des mérites du rapport que de démontrer à quel point la finance impacte nos économies et nos sociétés ?

C. R. : Oui, et cela est mené de façon pointue par des personnes très compétentes, qui peuvent être crédibles pour dialoguer avec des hommes politiques, des leaders économiques ou des opérateurs financiers.

C’est nécessaire pour montrer qu’il ne s’agit pas d’un discours de doux idéalistes qui ne seraient pas bien au fait des contraintes du système ! Au contraire, c’est dire : voilà comment fonctionne le système économique et financier aujourd’hui, et voilà ce qu’on peut faire pour contribuer à des trajectoires permettant de préserver les écosystèmes, d’orienter l’épargne autrement et d’éviter la collusion d’intérêts néfastes.

Il ne s’agit pas d’un discours de doux idéalistes qui ne seraient pas bien au fait des contraintes du système, au contraire !

Je trouve que le rapport a le mérite de proposer une perspective générale qui se soucie du bien commun, et de relier des analyses techniques à cette vision large. Si on veut changer les choses de façon systémique, il faut en effet s’interroger sur le type de régulation qui, à différentes échelles, va permettre à une activité économique de remplir son rôle d’utilité sociale.

Cela relève du bon sens. Mais c’est impressionnant de voir qu’il y a un certain nombre d’innovations financières qui entrainent des bulles, sont nuisibles, et ne présentent aucune utilité sociale, sauf pour un petit nombre d’individus !


S. C.D’où l’invitation à se mêler de ça et à dire : la finance, c’est l’affaire de tous…

C. R. : Exactement, c’est l’affaire de tous ! Je crois beaucoup à la mobilisation citoyenne et au rôle des ONG qui peuvent s’associer à d’autres, mobiliser les compétences de personnes bien formées - qui, pour certaines, ont une connaissance du système parce qu’elles ont travaillé dans des banques ou des institutions financières - et qui peuvent réfléchir aux leviers pour faire bouger les choses.

Je crois beaucoup à la mobilisation citoyenne et au rôle des ONG.


À cet égard, on a constaté du point de vue de la lutte contre l’évasion fiscale, ces dernières années, le rôle positif d’ONG auprès de gouvernements ou d’institutions comme l’OCDE. C’est un travail de longue haleine, mais il faut continuer.

Et c’est important d’avoir des propositions techniques en matière de régulation financière car si on ne fait pas converger davantage logiques financières et extra financières (sociales, environnementales), on se retrouve avec des engagements marginaux.


S. C.Quelles pistes émises dans le rapport pour encadrer le système financier et le réorienter vers l’intérêt général vous semblent particulièrement intéressantes ?

C. R. : Je relève celle de la canalisation de l’épargne vers des activités utiles à la société, afin que soient encouragés des projets économiques qui servent à une qualité de vie aujourd’hui et demain pour les populations, avec des critères écologiques. La question du prix carbone est déterminante : il doit être à un niveau suffisant pour qu’il engage réellement les acteurs.

Soulignons aussi l’idée d’une supervision des acteurs internationaux pour qu’il y ait un vrai pilotage à l’échelle mondiale, de pair avec les questions de commerce mondial et les enjeux sociaux et environnementaux.

le nerf de la guerre

Le quatrième axe, sur les moyens de financer la transition écologique, permet de redire que cette transition n’est pas un secteur parmi d’autres. C’est une dimension transversale, qui devrait être absolument structurante pour réfléchir à la transformation de nos institutions. L’activité financière doit être pensée et pratiquée à l’intérieur des limites planétaires, c’est-à-dire sociales et écologiques.

C’est courageux de la part du Secours Catholique de s’être affronté à cela, car ce sont des sujets qui peuvent paraître techniques et un peu confidentiels. Mais c'est réellement le nerf de la guerre ! Et cela participe, encore une fois, d’une cohérence vis à vis de ce souci de lutter contre la misère en s’intéressant aux causes à la racine.

 

* 20 propositions pour réformer le capitalisme, Gaël Giraud et Cécile Renouard (dir.), Flammarion, 2009

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