Mobilité : « Les ruraux se paupérisent à cause de la dépendance à la voiture »

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Alors que les voitures individuelles représentent 16 % des émissions de gaz à effet de serre en France, l’urgence écologique pousse à repenser notre mobilité, notamment en milieu rural. Car faute d’alternatives, les habitants de ces territoires sont dépendants de la voiture et y consacrent plus de 20 % de leurs dépenses, ce qui accroît leur précarité. Pour le Secours Catholique, il est possible de transformer ces territoires en faveur d’une mobilité durable et accessible à tous. Entretien.
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Entretien avec Sonia Devaux, chargée de plaidoyer mobilité en milieu rural au Secours Catholique.

 

Secours Catholique : Le Secours Catholique sort aujourd’hui un rapport : « Territoires ruraux : en panne de mobilité ». Avec au départ, un constat : les plus précaires sont fortement impactés par le manque d’accès à la mobilité durable en milieu rural…

Sonia Devaux : Le Secours Catholique, qui est présent un peu partout dans les territoires, constate en effet que la problématique de la mobilité se pose de plus en plus dans le monde rural. 10 % des ménages n’ont pas accès à la voiture et dépendent d’une association ou de leurs proches pour leurs déplacements du quotidien. Mais les propriétaires de voitures se précarisent eux aussi : comme il n’y a pas d’alternative à la voiture individuelle, leur budget explose pour se déplacer, en raison de l’augmentation des prix du carburant. 

S’ajoute à cela le fait que les distances sont de plus en plus importantes pour accéder aux besoins essentiels : à la fois aux lieux de travail, de formation, aux services de santé (c’est la réalité des déserts médicaux), ou encore aux commerces, car les petits magasins ont fermé dans les villages. Les territoires ruraux sont donc plus enclavés et la dépendance à la voiture devient une source de précarité. 

Les solutions locales servent en fait de pansement à un système défaillant.

Les solutions locales proposées par le Secours Catholique comme l’octroi d’aides financières ou les dispositifs de transport solidaire, qui ont pour objectif d’offrir un accompagnement social aux plus précaires, font face à une demande croissante et servent en fait de pansement à un système défaillant. Ce rapport dresse donc le constat d’un besoin de responsabilisation politique en vue d’établir une mobilité inclusive et durable.
 

Lire aussi notre reportage « Oubliés de nos campagnes »


S.C. : Comment expliquer qu’on ait autant délaissé les zones rurales en terme d’accès à la mobilité ?

S.D. : On a tout misé sur la voiture individuelle qui a modelé l’aménagement du territoire. Aujourd’hui les emplois et les services sont concentrés dans les grandes agglomérations, et de nombreux villages risquent de devenir des dortoirs s’ils ne le sont pas déjà. Après la Seconde guerre mondiale, on a investi massivement dans le transport routier et délaissé les solutions alternatives telles que le ferroviaire, entraînant des fermetures de lignes, ou encore le vélo. 

Nous avons besoin d’une responsabilisation politique pour établir une mobilité inclusive et durable. 

Aujourd’hui, 4 déplacements sur 5 dans les zones rurales se font en voiture, en raison du manque d’alternatives viables. La population rurale, qui représente un tiers des Français, émet 48 % des émissions de gaz à effet de serre pour les déplacements du quotidien, soit près de la moitié ! Car elle n’a pas le choix. Les solutions alternatives n’ont pas été développées d’un point de vue structurel.

S.C. : À vos yeux, des solutions existent donc. Comment faire pour revenir à une mobilité accessible à tous, et en même temps durable pour la planète, dans les territoires ruraux ?

S.D. : Il faut d’abord développer des solutions structurantes, c’est-à-dire développer le réseau ferroviaire, et celui des cars express mais aussi encourager l’utilisation du vélo pour les petites distances en investissant dans des infrastructures sécurisées. A ces solutions structurantes, il faut greffer des solutions plus flexibles adaptées aux territoires moins denses. Nous pouvons aller vers de la mobilité partagée, comme l’autopartage, le covoiturage ou la mutualisation de flottes de véhicules publics, ou encore les transports à la demande.

Plus de planification de proximité et aussi plus de coordination entre les différents acteurs de la mobilité.

Il faut plus de planification de proximité et aussi plus de coordination entre les différents acteurs de la mobilité, comme entre les régions et les communautés de communes. En ce sens, il serait bon de rouvrir la prise de compétence mobilité aux communautés de communes qui souhaitent s’en emparer. 

Nous devons aussi assurer un socle minimum des services de proximité, par exemple en soutenant la réinstallation de commerces dans les bassins de vie. Enfin, il faut un financement pérenne qui requiert de sortir d’une logique d’appel à projets pour aller vers une planification de long terme avec un programme de financement décennal.

S.C. : Finalement, dans ce rapport, vous interrogez le futur des territoires ruraux dans le cadre de la transition écologique…

S.D. : La question clé est la suivante : comment dépasse-t-on le système actuel du « tout voiture », qui n’est  viable ni d’un point de vue social (car trop cher) ni d’un point de vue environnemental et sanitaire ? L’État et les collectivités doivent s’engager pour avancer vers un futur où la mobilité durable est accessible à toutes et tous. Chacun, et en particulier les plus précaires, doit avoir le droit de se déplacer, dans les limites de la planète. Nous devons changer de paradigme sur la mobilité en milieu rural.

Crédits
Nom(s)
Propos recueillis par Cécile Leclerc-Laurent
Fonction(s)
Journaliste
Nom(s)
Élodie Perriot
Fonction(s)
Photographe
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