RSA : « Contre une politique sociale de plus en plus coercitive et infantilisante »

Thématique(s)
Chapô
Un collectif de 16 associations et syndicats, dont le Secours Catholique, attaque l’État pour sa politique de sanctions à l’encontre des chômeurs et allocataires du RSA. Explications avec Sophie Rigard, du Secours catholique, Agnès Aoudaï, du Mouvement des mères isolées, et Vincent Lalouette, salarié à France travail et représentant du syndicat FSU-Emploi.
Paragraphes de contenu
Texte

 

Sophie Rigard

Sophie Rigard, 

Chargée de projet Accès digne aux revenus au Secours Catholique.

 

 

Agnès Aoudaï, 

coprésidente du Mouvement des mères isolées.

 

 

Vincent Lalouette, 

secrétaire général adjoint de la FSU emploi

 
 
 

Secours Catholique : Avec une douzaine d'autres associations et syndicats, vos organisations ont pris la décision d'attaquer devant le Conseil d'État le décret dit “sanctions”, publié le 31 mai, qui met en place un nouveau barème de sanctions applicable aux demandeurs d’emploi, et en particulier aux bénéficiaires du RSA qui ne répondent pas aux obligations inscrites dans leur contrat d’engagement ou refusent de s’engager dans une démarche d’insertion. Ce décret vient compléter la Loi pour le plein emploi, pleinement entrée en vigueur au mois de janvier dernier et que vous dénoncez également, qui oblige l'inscription de tout allocataire du RSA à France travail et impose en contrepartie de l'allocation de réaliser 15 heures d'activité par semaine. Pourquoi vous mobilisez-vous contre ces mesures ?

Sophie Rigard : Une grande partie des ménages que nous accueillons au Secours Catholique sont allocataires de minima sociaux et notamment du RSA. Et l’accompagnement de ces personnes, le recueil de leur parole, le constat de ce qu’elles vivent, ont forgé notre conviction que ces mesures sont inhumaines, injustes et inefficaces. L’objectif d’un revenu minimum est d’apporter de la sécurité aux personnes pour rebondir. Or là, on impose toujours plus de contraintes et d’obligations à respecter sous peine de voir s’abattre sur sa tête l’épée de Damoclès de la sanction. C’est une insécurité permanente. Notre mobilisation actuelle s’inscrit dans une réflexion que l’on mène depuis dix ans, au Secours Catholique, avec d’autres acteurs dont l’association AequitaZ, sur notre système de protection sociale et ses failles. Ces travaux ont nourri différents rapports importants comme « Sans contrepartie. Pour un revenu minimum garanti » (2020) et « Un boulot de dingue ! » (2023). Récemment, nous avons publié le rapport « Quatre alertes » pour interpeller sur des dérives constatées lors de la phase d’expérimentation de ces mesures qui ont été généralisées en janvier dernier.

L’objectif d’un revenu minimum est d’apporter de la sécurité aux personnes pour rebondir. Or là, on impose toujours plus de contraintes et d’obligations. C’est une insécurité permanente. 

Agnès Aoudai : Ces mesures touchent énormément de mères isolées qui n’arrivent déjà pas à se dépatouiller d’un quotidien bien rempli, et qui sont déjà suffisamment exclues du monde du travail pour ne pas qu’on leur impose en plus cette contrainte supplémentaire pour pouvoir continuer à bénéficier du RSA. On ajoute des difficultés à des mères qui ont déjà énormément de choses à gérer, du fait notamment du manque de modes de garde, du fait également de leur manque de moyens qui complique tout, qui oblige par exemple à se rendre dans quatre magasins différents lorsqu’elles font leurs courses pour trouver les produits les moins chers. Ce décret ne les contraint pas juste à insérer quinze heures d’activité par-ci par-là dans la semaine, c’est une charge mentale en plus, toute une logistique à organiser pour articuler cette tâche supplémentaire avec les autres obligations du quotidien. Et tout cela pour une activité qui n’est pas rémunérée, alors même qu’elles manquent d’argent.

Vincent Lalouette : En tant qu’agents de France travail, conseillers à l'emploi, nous recevons quotidiennement des personnes en difficultés avec lesquelles notre mission est de travailler sur leur projet professionnel. Avec cette nouvelle loi, nous avons changé de paradigme. Nous sommes passés dans une logique coercitive où on ne parle absolument plus de projet professionnel des personnes que nous recevons, mais d'adéquation entre des pseudo-offres de travail et la main d’œuvre que représentent ces personnes sans emploi. Et ce, sans aucune préoccupation de la réalité concrète vécue par ces personnes et des effets de ce type de politique sur celles les plus en difficultés.

RSA contre activité : quels enjeux ?

S. C. : Quelles conséquences constatez-vous ou craignez-vous ?

S. R. : Ce que l’on constate et dénonce aujourd’hui, ce n’est pas juste ce décret “sanctions”, c’est tout ce que traduisent ces mesures en termes d’approche de la lutte contre la pauvreté. Il y a derrière ce texte une volonté de contrôler plus, de sanctionner plus facilement et rapidement, avec cette idée, qui ne s’appuie sur aucun élément empirique, comme le soulignent un certain nombre d’économistes, que si on menace une personne de suspendre 80% de son allocation ou de son indemnité chômage, cela va la remobiliser. On prend une orientation de politique sociale de plus en plus coercitive et infantilisante. Nous craignons d’une part une augmentation du non-recours au RSA et à l’assurance chômage, et donc une précarisation encore plus forte des personnes. Et d’autre part, que cette allocation devienne une variable d’ajustement budgétaire pour les Départements. Le risque, en effet, est que des conseils départementaux profitent de ce durcissement des conditions d’accès au RSA et de cette facilitation de la prise de sanctions pour réduire drastiquement leur nombre d’allocataires et faire ainsi des économies. On a déjà pu observer une telle tendance dans certains territoires lors de la phase expérimentale.

A. A. : Jusqu'à présent, il y avait une forme de tolérance, de compréhension, vis-à-vis des mères isolées, du fait que certaines d’entre nous ont réussi, ces dernières années, en s’organisant en associations, à sensibiliser le grand public et une partie de la classe politique à notre situation. Mais non seulement cette réforme, avec son automaticité, ne tient pas compte de nos difficultés et de la réalité de notre quotidien. Mais en plus, elle sape ce travail de conscientisation en venant appuyer le préjugé, qui ne concerne pas uniquement les mères isolées mais qui vise l’ensemble des personnes allocataires du RSA, selon lequel elles passeraient leurs journées à ne rien faire et qu’il faudrait les activer. 

Cette réforme appuie le préjugé, qui vise l’ensemble des personnes allocataires du RSA, selon lequel elles passeraient leurs journées à ne rien faire et qu’il faudrait les activer. 

Aujourd’hui, des mères qui ont été inscrites automatiquement à France travail en janvier nous appellent en pleurant, en nous demandant : « Mais comment je vais faire ?» L’une d’elles, par exemple, a trois enfants dont un en situation de handicap. Trois à quatre fois par semaine, elle doit l’emmener à des rendez-vous médicaux, ce qui est lourd. Lorsqu’elle l’a expliqué lors de son entretien à France travail, en Seine Saint Denis, on lui a répondu qu’elle devrait quand même effectuer ses 15 heures d’activité. Les 15 heures peuvent se faire par ordinateur, lui dit-on, cela peut être de la formation en ligne, par exemple... Mais ce n’est pas le sujet. Le problème est qu’elle n’a tout simplement pas le temps. C’est une personne qui adorerait travailler mais qui ne peut pas matériellement parce que rien n’est prévu pour accompagner son fils à ses rendez-vous hebdomadaires, en milieu de matinée ou d’après-midi, chez l’orthophoniste, chez la psychomotricienne...  La MDPH n’a pas d’aide prévue pour cela. Des cas semblables à celui-ci, il en existe énormément.

V. L. :  L’obligation d'inscription à France travail pour tout allocataire du RSA produit un double effet. Tout d’abord, la prise en charge par nos équipes de centaines de milliers de nouvelles personnes. Or, de notre point-de-vue, il y a un mensonge sur la capacité de l’institution à absorber cette charge supplémentaire, sachant que nous avions déjà précédemment des difficultés à nous occuper correctement des personnes qui nous sollicitaient. 

Les agents de France Travail se sentent démunis par rapport à ces ménages en grandes difficultés dont on doit s'occuper désormais sans avoir les moyens de leur proposer des choses concrètes qui pourraient faire avancer leur situation

Ensuite, nous sommes face à des personnes qui sont plus éloignées de l’emploi, qui peuvent avoir des pathologies physiques ou mentales lourdes, des difficultés très complexes (isolement social, problèmes de mobilité, mal-logement, addictions…) pour lesquelles nous ne sommes absolument pas armés. Et ce, sans avoir les moyens adéquats, malgré ce qui a été annoncé initialement. Tout cela a des conséquences, qui peuvent être catastrophiques, pour les personnes que nous recevons et contrôlons. Des conséquences également pour les agents qui se sentent démunis par rapport à ces ménages en grandes difficultés dont on doit s'occuper désormais sans avoir les moyens de leur proposer des choses concrètes qui pourraient faire avancer leur situation. Dans ce cas, la mission des conseillers se limite souvent à du contrôle. Cela génère une perte de sens dans notre travail.

S. C. : Pourquoi avez-vous fait le choix de cette action collective en justice ?

A. A. :  Nous avons tenté, sans succès, d’autres moyens d’action, comme des tribunes dans les médias, des pétitions, des rassemblements devant la direction générale de France travail. Et puis nous pensons que l’abrogation de ces mesures ne peut être le fruit que d’une mobilisation collective qui réunit usagers et agents de France travail.

S. R. : Durant le débat au parlement, nous avons fait porter des amendements par des élus, qui n’ont pas été adoptés. Nous avons également interpellé les parlementaires et le gouvernement. Nous avons produit le rapport « Quatre alertes » sur les premiers effets constatés lors de la phase d’expérimentation, dans le but de sensibiliser sur certaines dérives constatées… En vain.

V. L. :  Nous avons également essayé, de notre côté, de nous faire entendre. Notamment en organisant un mouvement de grève en 2024. En participant à des tables rondes avec des députés et sénateurs, pour essayer de faire un peu bouger les lignes… Mais nous ne sommes absolument pas entendus sur la réalité de ce que vivent à la fois les personnes privées d'emploi et les agents chargés de les accompagner. Cette action collective, qui réunit des associations qui accompagnent les personnes en difficultés et des syndicats d’agents du service public, permet de porter un regard global sur la situation. Je pense que c’est une force.

Crédits
Nom(s)
Propos recueillis par Benjamin Sèze
Nom(s)
Elodie Perriot
Fonction(s)
Photographe
Nom(s)
Photos D.R.
Pour rester informé(e)
je m'abonne à la newsletter