Delphine Lingemann, députée : « Il faut créer de l’intermodalité en milieu rural »

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Quelles politiques publiques adopter pour mettre fin à la dépendance à la voiture des personnes vivant en milieu rural ? Quelles alternatives leur proposer ? Quid du financement ? Entretien avec Delphine Lingemann, députée Mouvement démocrate (MoDem) du Puy-de-Dôme.
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delphine lingemannDelphine Lingemann 

  • 1972 : Naît à Issoire, dans le Puy-de-Dôme
  • 2020 : Élue au conseil municipal de Royat, chargée de l’environnement
  • 2022 : Devient députée de la 4e circonscription du Puy-de-Dôme
  • 2025 : Rédige une proposition de loi visant à améliorer la mobilité des jeunes ruraux
 
 
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Djamila Ould Khettab : Des personnes vivant en milieu rural et ne possédant pas de voiture nous disent avoir déjà dû renoncer à un emploi, des soins médicaux ou des sorties culturelles faute d’un mode de transport collectif accessible. La précarité mobilité est-elle aujourd’hui bien prise en compte par les élus ?

Delphine Lingemann : On voit des initiatives fleurir un peu partout dans les campagnes pour pallier un manque d’offres de mobilité, mais elles ne sont pas structurées. Chaque élu fait à sa sauce et se débrouille comme il peut.

Mais il est vrai que, dans beaucoup de territoires ruraux, les programmes de mobilité ne font pas une place suffisante aux transports en commun. Les administrés se sentent ainsi abandonnés. Ce n’est pas qu’un sentiment, c’est une réalité : être dépendant à la voiture, c’est être dépendant à un moyen de locomotion qui coûte cher en termes d’acquisition, d’entretien et même de réussite au permis de conduire.

Plusieurs générations de politiques n’ont pas investi sur les territoires ruraux comme elles l’auraient dû, créant ainsi des situations d’inégalités territoriales importantes. Il y a également un exode rural qui a amplifié ce mouvement et encouragé les décideurs politiques à investir davantage dans les centres urbains ou les métropoles au détriment des territoires ruraux.

La suppression en 2005 de la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (Datar), qui organisait l’aménagement du territoire au niveau national, a contribué à ce désinvestissement dans les territoires ruraux, renforçant ainsi le sentiment d’abandon des personnes résidant dans ces territoires.

D.O.K. : Pourquoi est-il si difficile de sortir du système du tout-voiture ? Est-ce dû à un manque de volonté politique ? 

D.L. : Un député doit être une courroie de transmission entre les territoires et le pouvoir central, mais il faut reconnaître que certains élus de la ruralité ont oublié cette mission. Nous avons besoin d’être davantage à l’écoute des problématiques du terrain pour pouvoir les changer ici, à l’Assemblée nationale.

Avec un groupe d’élus, nous portons une proposition de loi qui vise à faciliter les mobilités quotidiennes des jeunes qui choisissent de vivre et de s’épanouir dans des communes peu ou très peu denses. Cette loi permettra d’ajuster des dispositifs existants pour mieux prendre en compte les contraintes de mobilité des jeunes ruraux. La mobilité est un enjeu crucial pour l’insertion professionnelle et sociale des jeunes en milieu rural. Les études montrent qu’aujourd’hui 38 % des jeunes ruraux en recherche d’emploi disent avoir déjà renoncé à passer un entretien en raison de difficultés de déplacement, et que 30 % ont été empêchés de se rendre sur leur lieu d’études pour le même motif.

D.O.K. : De nombreuses communautés de communes, qui ont accepté de devenir Autorité organisatrice de mobilité (AOM) locale et d’exercer la compétence mobilité, c’est-à-dire d’organiser les déplacements sur leur périmètre, rencontrent des difficultés à mettre en place une offre de mobilité en raison d’un déficit en ressources internes. Comment les soutenir ?

D.L. : Le manque d’expertise et d’ingénierie en matière de mobilité à l’échelon local est effectivement un problème. Cela explique en partie pourquoi un nombre important d’intercommunalités n’ont pas souhaité devenir des Autorités organisatrices de mobilité (AOM) locales, laissant la compétence mobilité aux régions, comme prévu par la loi d’orientation des mobilités (LOM) entrée en vigueur en 2019. Pourtant, plus on est proche du bassin de vie, plus on peut apporter des solutions fines et adaptées.

Dans beaucoup de territoires ruraux, les programmes de mobilité ne font pas une place suffisante aux transports en commun.

Sur mon territoire, les intercommunalités sont de tailles différentes : il y a la grande métropole clermontoise, une autre grande agglomération et le reste sont des Établissements publics de coopération communale (EPCI) de plus petite taille. Ces derniers n’ont pas les compétences en interne pour pouvoir développer une stratégie de mobilité inclusive et durable. On pourrait donc envisager de créer un pôle ressources qui servirait à mutualiser les moyens et les ressources humaines dans le cadre d’une coopération étroite entre la ville principale et les EPCI environnantes. On pourrait également encourager une meilleure collaboration entre les villes voisines les plus importantes pour offrir une meilleure jonction et renforcer ainsi le maillage des transports collectifs.

Par ailleurs, je crois beaucoup aux Services express régionaux métropolitains (Serm), des projets locaux qui ont pour but d’améliorer la desserte entre une grande ville et une zone périurbaine en renforçant l’offre ferroviaire et en optimisant les interconnexions avec les autres modes de transport.

D.O.K. : Comment les zones rurales pourraient-elles en profiter ?

D.L. : En rouvrant des lignes ferroviaires et en augmentant les fréquences. Les infrastructures existent déjà, nous avons en France un réseau ferroviaire exceptionnel. Il pourrait absorber une partie des flux et réduire ainsi la dépendance à la voiture individuelle.

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Entretien avec Delphine Lingemann, députée Modem. 

Sur mon territoire, nous étudions un plan pour rouvrir la ligne Clermont-Ferrand-Ussel, qui permettait autrefois de se rendre à une station de ski par le train. Aujourd’hui, les touristes y vont en voiture car il manque une liaison pour parcourir les 30 kilomètres entre la ville et la station de ski.  

Je ne crois pas au tout-voiture comme je ne crois pas au tout-vélo électrique qui n’est pas adapté à tous les terrains, comme les régions montagneuses. Il faut créer de l’intermodalité en milieu rural, ce qui suppose certains aménagements comme l’installation d’un plus grand nombre de places de stationnement vélos et voitures à proximité des gares.

D.O.K. : Ces investissements sont-ils envisageables dans la conjoncture budgétaire actuelle ?

D.L. : Le gouvernement d’Élisabeth Borne avait promis une “nouvelle donne ferroviaire” en lançant un grand plan de développement de 100 milliards d’euros d’ici 2040. Il faut maintenant passer à la pratique : programmer des travaux et leur financement.

D.O.K. : Pour financer les politiques publiques locales, les intercommunalités ou les régions ayant la compétence mobilité peuvent bénéficier du “versement mobilité”, une contribution des entreprises de plus de 11 salariés présentes sur un territoire. Quid des territoires moins dynamiques qui ne peuvent compter sur cette taxe ?

D.L. : Le “versement mobilité” tel qu’il est mis en œuvre aujourd’hui n’est pas satisfaisant. Les métropoles sont les lieux qui abritent le plus grand nombre d’entreprises, alors que ce n’est pas là où se trouve le plus grand besoin de mobilité puisque des solutions de mobilité y sont proposées, bien qu’elles puissent être améliorées. Aussi les salariés de ces entreprises, qui vivent en dehors du territoire de ces grandes villes, ne profitent pas nécessairement des solutions de mobilité inclusives ou solidaires financées par le versement mobilité.  

Je ne crois pas au tout-voiture comme je ne crois pas au tout-vélo électrique.

Sur mon territoire, le problème du financement des transports collectifs ne se pose pas car plusieurs groupes y sont implantés. Mais au sud, dans le Cantal, il y a des territoires qui ne peuvent pas profiter de ce dispositif. Il leur est ainsi difficile de déployer des solutions de mobilité et de rompre avec la dépendance à la voiture individuelle. Il faut revoir le versement mobilité pour aller vers une meilleure équité et une meilleure solidarité territoriale.

D.O.K. : Vous vous êtes prononcée en faveur de la loi pour le réemploi de véhicules au service de mobilités durables et solidaires, adoptée en mars 2024. Mais la prime à la conversion, anciennement prime à la casse, qui aidait les Français à remplacer un vieux véhicule polluant par un modèle plus propre, est désormais supprimée. Cette décision porte un « coup dur » aux services d’autopartage, alertent des équipes du Secours Catholique, car moins de véhicules pourront être mis en location. Regrettez-vous ce rétropédalage ?

D.L. : Absolument ! Le gouvernement a décidé que cette mesure coûtait trop cher et a préféré faire machine arrière. C’est un choix politique que je regrette. La suppression de la prime à la conversion, décrétée en décembre dernier, annihile la loi sur le réemploi de véhicules en bon état destinés à la casse pour les faire louer à bas prix à des personnes en situation de précarité ou de vulnérabilité. Cette loi avait du sens, elle aurait pu aider à la marge des personnes en difficulté de mobilité en leur apportant une solution de dernier recours.  

On peut attendre le projet de loi de finances rectificative, qui devrait être débattu en juin, pour essayer de remettre le sujet sur la table. Mais étant donné les contraintes budgétaires auxquelles le pays fait face, il ne va pas être facile de défendre cette mesure.

D.O.K. : La mobilité soulève la question de l’accès aux services. Au lieu de contraindre les habitants des zones rurales à se déplacer, ne faut-il pas en faire davantage pour rapprocher les services des personnes ?  

D.L. : Tout à fait ! Chaque citoyen a le droit d’avoir un même accès aux services publics, peu importe le lieu de son domicile. Mais l’éloignement géographique crée encore des situations d’inégalité en termes d’accès aux services de l’État.

Néanmoins, les maisons France services et les bus France services vont dans le bon sens. Il n’y avait rien il y a encore dix ans, des sous-préfectures fermaient. On revient de loin ! Les échos que j’ai des maisons France services et des permanences itinérantes sont plutôt positifs. Il y a dans l’ensemble un bon accompagnement des usagers : dans ces accueils physiques de proximité, on ne rencontre pas toujours des agents de la CAF, de la CPAM ou des Impôts, mais les agents d’accueil se renseignent et informent après coup les usagers sur des points précis.

Par ailleurs, j’ai demandé la création d’une agence pour la rénovation du bâti rural. Nous avons de très beaux bourgs, mais ils sont à l’état d’abandon. Mieux coordonner les travaux de rénovation des anciennes bâtisses permettra de revitaliser ces villages et de répondre à la crise du logement en créant des logements conventionnés.

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Propos recueillis par Djamila Ould Khettab
Fonction(s)
Journaliste
Nom(s)
Gaël Kerbaol
Fonction(s)
Photographe
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