Sans abri et mal logés : l’été de tous les dangers

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Alors que l’été s’installe, le Secours Catholique appelle à continuer la mobilisation auprès des personnes sans abri et mal logées, dans le cadre de la campagne #NonAssistancePersonnesMalLogées menée par le Collectif des associations pour le logement, dont le Secours Catholique fait partie. Durant la période estivale, contrairement aux idées reçues, les personnes en précarité sont en effet exposées à des risques accrus.
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Entretien avec Baptiste Jeansoulin, animateur de réseaux bénévoles au Secours Catholique de Marseille.

 
 

Secours Catholique : On s’alarme du sort des personnes sans abri l’hiver, lorsque les températures chutent. Les pouvoirs publics mobilisent d’ailleurs des moyens supplémentaires. Mais l’été est aussi une période de vulnérabilité accrue. Quels risques spécifiques constatez-vous ?

Baptiste Jeansoulin : Il est vrai qu’en général, quand on pense aux personnes sans abri, on pense d’abord aux risques hivernaux : l’hiver, des personnes meurent à la rue de froid. Or, le collectif des Morts de la rue a démontré qu’il y avait autant de décès en été qu’en hiver. À Marseille, le nombre de personnes sans abri visibles est beaucoup plus important l’été.

D’abord parce qu’en été le nombre de personnes à la rue visibles est beaucoup plus important. A titre d’exemple, j’accompagne une tournée de rue : l’hiver, nous croisons une soixantaine de personnes par soirée, c’est le double l’été. Même constat dans nos accueils de jour : nous y recevons davantage de personnes l’été que l’hiver et nous constatons que les personnes sont très éprouvées durant cette période. Elles sont debout et sollicitées dès 6h du matin, réveillées par la chaleur, et elles ne peuvent pas s’endormir avant tard dans la nuit. Elles sont bien-sûr confrontées à l’exposition aux UV, les insolations sont fréquentes.

Manque de points d'eau

Surtout, elles font face au manque de points d’eau. A Marseille, ces derniers sont heureusement de plus en plus nombreux. Mais parmi ces points d’eau, certains sont situés dans des parcs qui ferment leurs portes à 18h. D’autres sont installés dans les stations de métro, qui, à Marseille, ferment à 21h. Restent les points d’eau situés dans la rue, peu nombreux. Les personnes doivent parcourir de grandes distances à pieds sous 40°C pour les rejoindre, ou sinon s’exposer au risque de déshydratation. C’est ainsi que l’on en arrive à des problématiques de santé qui peuvent devenir mortelles pour les personnes à la rue.  

S.C. : Vous alertez également sur le sort des enfants en cette période de vacances scolaires… Pourquoi sont-ils particulièrement vulnérables ?

B.J. : Fondamentalement, la population des enfants à la rue est plus vulnérable que la population adulte, et surtout, on en sous-estime le nombre. À Marseille, en 2022, il a été recensé environ 3 000 mineurs en situation de sans-abrisme. Ce nombre a été multiplié par six en dix ans. 

Pour ces enfants, la rue est évidemment un lieu de dangers, canicule ou pas. Mais l’été, c’est encore plus compliqué pour toutes les familles en précarité. Par exemple, les grandes vacances sont une période d’alerte concernant la sécurité alimentaire car les enfants n’ont plus accès à la cantine quatre ou cinq fois par semaine. 

La mise à la rue d’enfants est plus fréquente l'été que le reste de l’année.

Les vacances d’été sont également une période à risques pour les familles menacées de se retrouver à la rue. On connaissait le phénomène de fin de trêve hivernale qui marque une recrudescence des expulsions fin mars. On voit désormais apparaître le phénomène de fin de trêve scolaire : une fois les grandes vacances arrivées, comme il n’y a plus l’obligation de présence des enfants à l’école et que les enseignants ne sont plus là pour se mobiliser auprès de familles en difficulté, de fait, début juillet est le moment souvent choisi pour expulser une famille de son logement ou évacuer un squat qui comprend des enfants. Si bien que la mise à la rue d’enfants est plus fréquente en juillet – août que le reste de l’année.

S.C. : Pour les personnes en hébergement temporaire ou mal logées dans des habitats vétustes voire indignes, l’été est aussi une période difficile. 

B.J. : En effet, nous avons plusieurs motifs d’inquiétude pour ces personnes. D’abord, nous constatons pour certains une difficulté à « entrer » en hébergement l’été. En effet, les hôtels sont souvent la variable d’ajustement de l’État en termes de places d’hébergement. Sauf que les touristes sont évidemment plus rentables pour les hôtels, donc moins de places y sont disponibles pour les personnes précaires. 

Un phénomène de « bouilloires thermiques »

Pour celles qui se trouvent déjà dans des hébergements temporaires, l’été peut également être éprouvant : les gestionnaires d'hébergement manquent de moyens pour faire des rénovations thermiques de leur parc. Par ailleurs, les personnes ne sont souvent pas autorisées à y rester la journée, et ne peuvent donc pas s’abriter durant les heures les plus chaudes. 

Enfin, pour les personnes en logement, certaines sont concernées par le phénomène de « bouilloires thermiques », pendant estival des « passoires thermiques » hivernales. Dans leurs logement mal isolés, ces personnes sont paradoxalement forcées de sortir à l’extérieur pour fuir la chaleur de leur habitation. Ainsi, de nombreuses personnes qui ont un toit viennent dans nos accueils, l’été, chercher un peu de fraîcheur.

S.C. : Qui le Secours Catholique souhaite-t-il interpeller sur ces sujets, et pour quelles réponses souhaitées ?

B.J. : Nous interpelons d’abord l’État qui a la responsabilité d’héberger de façon inconditionnelle toute personne à la rue, et de garantir le droit fondamental au logement de toutes et de tous, d’où notre recours en justice lancé en février dernier sous la bannière « Non assistance à personnes mal logées » contre l’inaction de l’État sur ces deux missions qui lui incombent.

Ensuite c’est un appel aux institutions – État à nouveau et collectivités territoriales (communes et métropoles) – de mettre en place des dispositifs adaptés à cette période estivale, et de ne pas se concentrer uniquement sur la période hivernale, notamment en matière d’accès à des points d’eau et d’hygiène et à des lieux réfrigérés. Par exemple, les Centres communaux d’action sociale ferment souvent leurs lieux d’accueil en juillet et août, privant les personnes à la rue d’endroits « ressources ». Conséquence : c’est à la société civile et aux associations qu’il revient de compenser ces fermetures. Or, la sur-fréquentation de nos accueils l’été peut mettre en difficulté nos bénévoles dans leur mission.

Soutenez la campagne, mobilisez-vous avec nous

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Les demandes du Secours Catholique

  1. Animer toute l’année des coordinations locales des acteurs associatifs et institutionnels de la veille sociale (accueils de jour, maraudes, 115, etc.) et renforcer leurs moyens pour rencontrer et accompagner les
    personnes sans domicile selon leurs besoins.
  2. Ouvrir dès cet été au moins 10 000 places d’hébergement d’urgence supplémentaires et développer massivement des logements à bas niveau de loyer dans le parc privé comme social.
  3. Engager un programme ambitieux de rénovation thermique des structures de veille sociale et d’hébergement et renforcer les aides publiques pour rénover 200 000 logements par an.
  4. Mettre fin aux expulsions locatives et aux évacuations de lieux de vie informels sans proposition de solutions alternatives de logement ou d’hébergement.
Crédits
Nom(s)
Propos recueillis par Clarisse Briot
Fonction(s)
Journaliste
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