Au Kenya, un revenu universel garanti pour sortir de la pauvreté

Résoudre le problème de la pauvreté en distribuant de l’argent : tel est le pari de Give Directly, une ONG qui garantit un revenu minimum de base à des milliers de Kényans pendant 12 ans. Instructif au regard du plaidoyer en faveur d'un revenu minimum garanti porté en France par le Secours Catholique.
« Je n’ai plus besoin de demander à mon mari de m’aider », se félicite Wandola (1) qui a investi dans l’achat de 60 poulets, ce qui lui a permis de lancer un commerce. « Avant, je ne savais pas combien je gagnerais à la fin du mois. Maintenant je suis capable de planifier », déclare pour sa part Aswan (1).
Ces habitants du village de Magawa reçoivent chaque mois depuis quatre ans 2 250 shillings kenyans, soit l’équivalent de 20 euros. Ce montant correspond à 0,75 dollar par jour, soit la consommation moyenne d’un adulte kenyan vivant en zone rurale, selon les données de la Banque mondiale et du gouvernement kenyan. Cette somme couvre ainsi uniquement les besoins de base, et non tous les besoins.
Elle est versée par l’ONG Give Directly selon trois principes : il s’agit d’un revenu universel, proposé à tous les villageois quelles que soient leurs ressources ; il est inconditionnel, sans droit de regard sur les dépenses ; il est garanti sur une période donnée.
Très longtemps, on a pensé que les pauvres ne pouvaient pas décider eux-mêmes, alors on le faisait pour eux .
À Magawa, comme dans 43 autres villages, environ 5 000 personnes recevront ce revenu durant douze ans ; 80 villages, soit plus de 7 000 habitants, l’ont reçu durant deux ans ; 71 villages, représentant plus de 8 000 personnes, ont reçu le même montant que le groupe précédent, mais sous la forme d’une somme forfaitaire versée à l’avance ; enfin, 100 villages ne reçoivent aucun versement.
L’idée est simple, pour Give Directly : montrer que la promesse de futurs versements d’un revenu de base produit un effet sur la propension des bénéficiaires à investir, à créer une entreprise et à prendre des risques financiers.
À la base du concept, une philosophie : c’est aux gens eux-mêmes de décider de ce qu’ils font de leur argent. « Très longtemps, on a pensé que les pauvres ne pouvaient pas décider eux-mêmes, alors on le faisait pour eux en leur fournissant de l’alimentation, des vaches et des chèvres. Or il s’avère que les pauvres peuvent prendre des décisions pour eux-mêmes », explique Michael Faye (2) cofondateur de Give Directly.
Les pauvres, comme toutes les catégories sociales de la population, sont hétérogènes avec divers besoins qui requièrent des solutions diverses. « On doit avant tout demander aux personnes concernées, poursuit Michael Faye (1). Pour moi, l’argent liquide devrait être la référence dans le secteur de l’aide. »
Une relative protection face au coronavirus
Depuis le début de la pandémie, des chercheurs (3) ont démontré que les bénéficiaires du revenu durant douze ans avaient moins souffert de la faim que les habitants du groupe qui n’avait rien reçu. Par ailleurs, les bénéficiaires ont eu moins de malades parmi les membres de leur famille.
Peut-être le fait d’avoir un peu plus d’argent leur a-t-il permis de mieux manger, d’accéder à de l’eau saine ou de se reposer quand ils en avaient besoin. Pour autant, les bénéficiaires ont subi des pertes de revenu causées par la mise en place de nouvelles entreprises non agricoles dans lesquelles ils avaient investi, ce qui amène les chercheurs à constater que le revenu de base n’est pas conçu pour faire face à des situations aussi extrêmes.
Mais, ajoutent-ils, la possibilité d’accéder à des suppléments de revenu a aidé pendant la pandémie, et incité les bénéficiaires à prendre plus de risques quant à leur revenu. Reste à connaître les résultats et les conclusions que l’on pourra tirer de ce revenu de base sur la durée, après la période des douze ans. Il faudra attendre 2028.
1. Citation provenant de Prospect Magazine.
2. Citation tirée de National Public Radio (NPR).
3. Abhijit Banerjee, Michael Faye, feu Alan Krueger, Paul Niehaus et Tavneet Suri, dont l’étude est à lire ici.
