Migrants : de Calais à La Chapelle, bien comprendre les enjeux

Alors que le Premier ministre italien Matteo Renzi appelle à une révision des accords de Dublin, et que les évacuations brutales de migrants à Paris font polémique, Laurent Giovannoni, responsable du département étranger du Secours Catholique, analyse les enjeux et explique la prise de position de l’association sur le sujet.
Depuis quelques temps, à Paris comme sur les côtes italiennes, tout laisse à penser que l’on assiste à un afflux massif de migrants sur le continent européen. Qu’en est-il vraiment ?
Il y a une augmentation réelle du nombre d’exilés qui tentent de rejoindre l’Europe en traversant la méditerranée, c’est vrai. Mais il faut raison garder : il s’agit d’une augmentation de quelques centaines de milliers de personnes – peut-être 200 000 ou 300 000 sur une année – qui arrivent principalement via la Grèce et surtout l’Italie. Qu’est-ce au regard des 500 millions d’habitants de l’Union européenne, première puissance économique mondiale ? Le Liban, la Jordanie et la Turquie, à eux seuls, accueillent plus de 3,5 millions de réfugiés syriens.
L’Union européenne n’est pas débordée, bien au contraire. On peut même dire qu’elle est très loin de « prendre sa part » dans l’accueil des réfugiés. La médiatisation et les images très « spectaculaires » perturbent notre vision en donnant l’illusion d’une arrivée massive. Sachons résister à ce prisme déformant des images qui privilégie le sensationnel.
Comment expliquer cette évacuation brutale des migrants à Paris, au métro la Chapelle et devant la halle Pajol ?
Depuis des mois, quelques centaines d’exilés ont établi un campement sous le métro La Chapelle. D’autres sont à la gare d’Austerlitz (ils y sont toujours à ce jour). Il s’agit bien d’exilés, comme à Calais : ce sont des personnes ayant fui la guerre et les conflits, principalement de la Corne de l’Afrique (Soudan, Érythrée, etc.), qui ont pris tous les risques pour traverser la Méditerranée et arriver en Italie. Ils se dispersent ensuite en Europe pour tenter de trouver un accueil et une protection, rejoindre l’Allemagne, l’Angleterre, la France ou un autre pays de l’UE. Dans leur parcours, ils sont bloqués dans quelques goulots d’étranglement avant de savoir où se fixer et demander l’asile : c’est le phénomène Calais. Les campements à la Chapelle ou à Austerlitz sont une extension de ce phénomène.
Alors pourquoi cette évacuation à la Chapelle ?
Les pouvoirs publics – et la mairie de Paris – voulaient résorber un campement où les conditions sanitaires étaient déplorables et éviter que se développe en plein Paris, et en un même lieu, une concentration d’exilés comme à Calais. Le projet d’une dispersion des personnes dans des lieux d’hébergement divers n’était pas mal intentionné, mais il a été manifestement mal préparé, car bâti sur une mauvaise analyse.
Les pouvoirs publics – ainsi d’ailleurs que les opérateurs qui ont participé à la démarche - ont conçu l’action sur l’idée binaire selon laquelle il y avait parmi ces exilés d’un côté des demandeurs d’asile auxquels il faut proposer un hébergement durable, et de l’autre des sans-papiers auxquels on propose quelques nuits en hébergement d’urgence sans aucune solution ni accompagnement postérieurs. Or cette vision ne correspond pas à la réalité : l’immense majorité de ces exilés se savent pas encore où ils veulent demander l’asile. Ils sont perdus, mal informés, ne comprennent rien ni aux procédures françaises, ni aux règles européennes. Ils n’ont donc pas les moyens d’anticiper et de comprendre les conséquences de leur décision, ou non, de demander l’asile ici plutôt que dans un autre pays.
Après la première opération de dispersion–relogement, la plupart des exilés de la Chapelle se sont donc retrouvés à la rue au bout de deux jours, et ils sont revenus au point de départ. Opération ratée. La préfecture de police de Paris a eu alors recours à la brutalité policière pour empêcher que se reconstitue le campement, et elle s’est pris les pieds dans le tapis en provoquant des réactions indignées – à juste titre – et une instrumentalisation politique de tous côtés dont les exilés auraient pu se passer…
La presse notamment a fait resurgir le spectre des sans-papiers de l’église St Bernard...
Le seul point commun est le lieu géographique : métro la Chapelle, quartier St Bernard, halle Pajol. En cela, le recours à la force brutale pour l’évacuation à Pajol était non seulement condamnable et inutile, mais en ce lieu symboliquement très chargé, c’est une bévue et une maladresse politique dont le ministère de l’Intérieur doit se mordre les doigts.
Sur le fond, cela n’a rien à voir. À St Bernard, en 1996, il s’agissait d’un groupe de sans-papiers maliens et sénégalais qui luttaient pour demander un droit au séjour et au travail en France. Après des mois de discussion avec le ministère, après des semaines de médiation conduites par un collège de médiateurs - dont faisaient partie le directeur de la pastorale des Migrants, Stéphane Hessel, Paul Ricoeur, Ariane Mnouchkine, etc -, le Gouvernement de l’époque avait rejeté toute solution globale négociée.
Je revois encore Stéphane Hessel nous dire à quelques-uns qu’il s’était « fait rouler dans la farine » par les conseillers du ministre. La réaction des sans-papiers fut bien évidemment celle du désespoir : une grève de la faim qui s’est terminée par une expulsion d’une grande violence, et dont les images de 1500 CRS donnant l’assaut à l’église Saint-Bernard ont marqué l’imaginaire collectif. Aujourd’hui, il s’agit d’exilés, de personnes qui relèvent pour la plupart d’un besoin de protection au titre de l’asile. Et le Gouvernement n’est pas du tout opposé à leur offrir une protection, bien au contraire, mais il est face à plusieurs questions objectivement difficiles à régler d’un coup, d’où les maladresses, et parfois les actions brutales qu’il convient de condamner. Mais on ne peut pas reprocher au ministère de l’Intérieur, à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) ou à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) de refuser d’apporter des solutions dignes et protectrices, ce serait faire un mauvais procès.
Quelles sont alors les difficultés qui compliquent la tâche des pouvoirs publics ? Quelles seraient les pistes ou les propositions à promouvoir ?
